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Rencontre avec Abel Danan, réalisateur de La Damnée

Dernier film présenté en compétition au 31ème Festival International du Film Fantastique de Gérardmer, La Damnée est un premier long-métrage réussi et efficace. Nous avons pu rencontrer Abel Danan, le jeune réalisateur de ce coup de cœur de fin de festival qui s'est livré dans un entretien riche et passionnant sur son rapport au festival de Gérardmer, ses liens avec le cinéma fantastique et horrifique ainsi que sur quelques secrets de fabrication de La Damnée.


Montage photo avec, à gauche, l'affiche du 31ème festival international du film fantastique de Gérardmer et, à droite, une photo du réalisateur Abel Danan

Qu’est-ce que ça fait de "revenir" à Gérardmer avec ce premier long-métrage en compétition ?


C’est très particulier car Gérardmer est un festival qui compte énormément pour moi depuis très longtemps. Quand j’étais petit, c’était l’un des festivals dont je suivais le plus la programmations dans les journaux et sur le net. Il y avait une espèce de culte autour des films car il n'y avait pas encore les plateformes de streaming et c'était compliqué de les trouver. J’ai découvert des films qui m’ont vraiment marqué grâce à ce festival comme Bone Tomahawk, J’ai Rencontré le Diable, The Witch ou des films français comme Ghostland. J’entendais parler de ces films grâce à Gérardmer et le sigle Gérardmer a toujours été le signe que le film avait quelque chose de spécial.


Quand j’ai commencé à faire des courts-métrages de genre, j'ai envoyé mon film Canines sans penser que ça pourrait plaire. Lorsque j’ai appris qu’il avait été sélectionné, j’étais bouleversé. C’était une période compliquée, j’avais tourné ce court-métrage pendant le premier confinement à Paris et c’était très difficile. C’était merveilleux d'avoir ce réconfort d’être retenu pour la compétition court-métrage, d’autant plus que la sélection cette année-là était incroyable donc ça m’avait beaucoup touché. Par contre, le festival n’était pas en présentiel à cause du Covid donc il y avait ce côté agréable d’être sélectionné mais je n’avais pas tout le cérémoniel dont j’avais entendu parler, je n'étais pas sur place pour voir les lieux emblématiques comme le Grand Hôtel ou l’Espace Lac ou ressentir la convivialité du festival. J’avais donc été un peu triste de ne pas vivre tout ça.


Quand est venue la possibilité de faire ce long-métrage, je savais avant même le début de la production que mon rêve était de le présenter à Gérardmer. On a donc beaucoup travaillé sur le film pour faire en sorte que ça arrive et quand j’ai appris qu’il était sélectionné, c’était l’un des plus beaux jours de ma vie. C’était une immense joie et aussi un grand moment d'émotion de venir à Gérardmer et de pouvoir le présenter à l'Espace Lac. C’est le festival le plus agréable auquel je suis allé de toute ma vie : l'accueil est généreux, les gens sont gentils et ils aiment ce genre de films et savent les respecter.


Avant La Damnée, vous avez réalisé trois courts-métrages. Quelles sont les raisons pour lesquelles vous avez décidé de passer au long ?


C’est une très bonne question. En regardant des longs-métrages, j'ai beaucoup cherché quel était le moyen de pouvoir faire, quelle était la trajectoire au-delà de raconter une histoire. Il y a bien des écoles mais ce sont des écoles pour apprendre et pas des écoles pour devenir.


Quand j’ai réalisé mes courts-métrages, les principales remarques que l’on me faisait, c’était qu’ils n’en avaient pas la forme. L’art du court-métrage est très compliqué pour moi car les courts qui marquent le public et font leur vie en festivals, ce sont des films qui ont un rapport au temps, au concept et à la valeur de leur concept qui est très particulier. J’ai toujours été très mauvais pour faire ça parce que la raison pour laquelle je fais des films, c’est pour raconter des histoires et d’avoir du temps pour le faire. J’aime les films avec des temps morts, une structure qui permette de développer une relation avec un personnage. C’est très important pour moi et c’est pour cette raison que je me suis dit très rapidement qu’il fallait que j’essaye de raconter des histoires plus conséquentes.

C'est ce désir qui m'a mené naturellement vers le long-métrage. Avant, je restais toujours un peu sur ma faim et c’est une frustration qui, à mon avis, peut se ressentir dans mes trois courts-métrages, qui sont presque des épisodes pilotes de ce que pourraient être de longues histoires. Pour ce premier long, je me suis dit qu’il fallait que j’essaye de raconter une histoire dans laquelle je pouvais mettre des éléments de mon univers, de ma vie, des histoires de famille, de culture dans un genre qui me plaît vraiment.


Vous dites qu’il est difficile de faire un court-métrage. Est-ce que c’était donc plus simple de faire un long-métrage ?


Ce serait intéressant de poser la question à d’autres metteurs en scène mais, pour ma part, faire un long-métrage a été extrêmement plus enrichissant et plus agréable mais en même temps extrêmement plus compliqué.


Je n’ai jamais eu comme velléité de faire un film seulement pour moi mais pour le montrer au public et voir son regard ainsi que la communication autour du film. J’aime le cinéma vivant, avec une certaine convivialité où les gens parlent, crient, hurlent, mangent du pop-corn. Il n’y a rien de plus agréable que lorsque tout le monde est assis et vit le film en même temps. C’est pour ça que je fais des films, pour ressentir cet aspect de communication et de partage.


Lina El Arabi dans le film la Damnée
Lina El Arabi dans La Damnée © Star Invest Films France

Comment avez-vous abordé le genre horrifique et les motifs qui lui sont propres ?


J'ai toujours voulu écrire des films de genre, fantastique ou d'horreur, mais toujours dans l’onirique. Ces films parlent de rêve ou de cauchemar, ils jouent sur des peurs d’ouïe, de toucher, de certaines légendes locales. Quand je me suis mis à écrire, je me suis dit tout de suite « il faut faire réagir » et le sujet de faire un film fantastique en long-métrage a été une évidence vu que je voulais travailler ces moments de peurs.


L'un des procédés pour y arriver est le jumpscare. J’adore ce gimmick de mise en scène, même s'il a été galvaudé ces dernières années, car c’est celui qui m’a le plus choqué. Il y a des scènes de jumpscares, pas forcément sonores mais plutôt visuelles, avec des plans qui m’ont glacé le sang comme dans Les Dents de la Mer avec l’apparition du requin ou la première fois que l'on voit le personnage de Leatherface dans Massacre à la Tronçonneuse.


Vous citez des films emblématiques du cinéma de genre qui vous ont marqué et qui ont donc pu avoir une influence sur votre travail en tant que metteur en scène. Quelles ont été vos références pour La Damnée ?


Pour ce film, mes principales inspirations sont issues d'histoires de famille. Tous les autres membres de ma famille sont nés et ont vécus au Maroc, à commencer par mes parents qui sont nés là-bas, s’y sont rencontrés et y ont habité une bonne partie de leur vie avant de venir en France. J’ai donc un rapport très particulier avec ce pays car j’y suis beaucoup allé.


Toutes les histoires qu’on m’a racontées, avec lesquelles j’ai grandi, viennent de ce pays, de mon père, de ma mère, de mes tantes, de ma grand-mère mais aussi et surtout d’une dame, Najiyah qui, d’une certaine manière m’a élevé, et qui est membre de notre famille depuis des générations. Cette dame a un don pour raconter des histoires comiques qui peuvent nous faire hurler de rire ou nous terrifier avec des histoires d’esprits, de sorcières ou de serial killer qu'elle inventait ou non. Le fait d’écouter ses histoires le soir avec une bougie et de ne pas pouvoir dormir après à cause de ça a été fondamental dans la construction de La Damnée, qui prend son essence dans les histoires de famille et il est d’ailleurs beaucoup question de la famille dans ce film.


C'est donc avant tout une référence orale tout simplement parce qu’il y a peu de sources sur ce folklore et elles sont rarement écrites ou visuelles. Il a donc fallu faire tout un travail de recherche afin d'être le plus crédible et c’est la raison pour laquelle beaucoup de scènes ont été tournées au Maroc afin de garder une certaine authenticité de la langue, de la culture, des traditions, des objets de la sorcière, du traitement de ce personnage ainsi que de celui des esprits et de la religion.


J'avais aussi des références visuelles mais elles venaient surtout de la peinture. Chez mes grands-parents, il y a beaucoup de tableaux qui représentent des villages, des personnes, qui m’ont beaucoup marqué et que j’ai essayé de refaire à l’identique dans le film. J'ai également été inspiré par les peintures de Goya, dont La Sabbat des sorcières, qui est le tableau qui m’a sans doute le plus inspiré en termes de couleurs et de texture. J’ai montré ces peintures à mon chef opérateur et au reste de l’équipe en leur disant que je voulais qu’on ressente les mêmes peurs, les mêmes horreurs, les mêmes matières.


J'ai bien eu des références cinématographiques en tête quand j’ai écrit et réalisé le film mais c’était surtout des plans de huis clos comme ceux de Darren Aronofsky dans Requiem for a Dream et Pi, les films de John Carpenter ou, pour revenir à Aronofsky, Mother, qui m’a marqué dans le traitement du rapport entre le personnage et son espace, avec cette métaphore filée de la maison qui se détruit en même temps que l’état mental du personnage. Je trouvais ça incroyable et j’étais très impressionné.


Revenons quelques instants sur la figure de la sorcière. On la retrouvait dans d’autres films à Gérardmer cette année, notamment dans ROQYA, présenté hors compétition. Tout comme dans votre film, ce n’est pas une représentation classique de la sorcière qui y est proposée. Est-ce que c’était essentiel pour vous de montrer un autre visage de cette célèbre figure folklorique ?


Oui, c'était important pour moi de travailler cet aspect. Les cultures européennes ont un rapport avec la sorcière qui est vil. Il faut que la sorcière représente un personnage terrifiant, rabougri et vieux. Ce qui est intéressant concernant les sorcières dans La Damnée, et le film Roqya le montre très bien aussi, c’est qu'il s'agit de femmes qui sont indépendantes, courageuses, vaillantes, intelligentes et souvent très belles, qui ont besoin de cela pour vivre dans un monde d’hommes.


ouidad elma dans le rôle de la sorcière dans La Damnée
Ouidad Elma dans La Damnée © Star Invest Films France

Ce sont des personnages touchants et il n’a pas été question une seule seconde de montrer la sorcière comme un personnage vraiment maléfique. C’est pour cela que même lorsqu'elle est censée être terrifiante, je ne voulais pas la présenter comme un personnage vilain, qui représente des aspérités physiques conséquentes mais je souhaitais qu’elle soit toujours belle même lorsqu’elle est décharnée et affaiblie. Cela me tenait à cœur car c’est un personnage qui a payé toutes ces offenses, toutes cette jalousie à cause de sa beauté.


C’était donc très intéressant de travailler cette forme là de la sorcière et de la pousser dans ses retranchements.


Passons au côté technique. Pouvez-vous nous parler un peu plus particulièrement de ce fameux plan avec ce panoramique pour illustrer le temps qui passe ?


Ça me fait plaisir que vous m’en parliez car c'était le plan le plus compliqué à faire et celui qui a pris le plus de temps !


C’est un procédé technique qui consiste à placer une caméra au centre de l'espace, du lieu, à faire plusieurs tours à intervalles très précis, avec la même temporalité et, à chaque fois, à placer l’acteur au centre des lieux pour avoir cette impression de jours qui passent. Le problème, c’est qu’il faut non seulement placer l’acteur dans des lieux différents mais aussi changer l’éclairage tout en gardant exactement les mêmes choses au niveau des décors sinon il y a une scission dans l’image.


C’est donc un plan très difficile en termes de script et de performance. Il a demandé beaucoup de temps pour le réaliser mais j'en suis fier car il a impliqué beaucoup de travail d’équipe, de cohésion et un certain risque car j’ai pris du retard sur d’autres scènes.  

Et concernant les plans dans le tunnel ?


C’était aussi compliqué car j'ai un rapport particulier avec les effets spéciaux. Je trouve qu'ils peuvent faire du mal à un film et je suis plutôt un partisan des effets pratiques. J’aime bien quand il y a de vrais textures, j’aime travailler les matières car, même si c’est plus difficile, ça permet d’avoir un aspect plus réaliste.


Pour le tunnel, on m’a demandé très tôt de faire un choix entre effets pratiques et effets spéciaux et j’avais à cœur de faire ce tunnel. On l’a donc construit grâce à la chef décoratrice Zineb Andress Arraki et au chef décorateur Johann George qui ont fait des échafaudages en bois, ont rajouté des textures, de la matière comme de la terre. Ils ont ensuite enduits le tout d’une sorte de cire rose qui était très chaude et il ne fallait pas toucher le tunnel pendant une journée. Je me souviens que lorsqu'on allait le voir, il fumait de partout et on aurait dit une espèce de monstre tout droit sorti d'une oeuvre de Miyazaki. On a ensuite ajouté plusieurs couches de terres et de peinture pour avoir le rendu qu’on voulait.


C’était d’ailleurs très important aussi pour Lina [El Arabi] car j’avais besoin qu’elle soit à l’aise pour développer son jeu et sa physicalité dans le film. Je voulais absolument construire cet espace pour qu’elle ressente l’enfermement et elle-même, grâce à ce décor, m’a proposé des choses assez incroyables dans ce fameux tunnel. L’aspect authentique était important pour qu’elle soit à l’aise et qu’elle entre en symbiose avec le personnage.


Vous parlez de Lina El Arabi, l’actrice principale de votre film. Comment s’est passé le casting ?


Je ne suis pas fan du casting. Rencontrer plusieurs acteurs à la suite et les voir pendant quelques secondes pour qu’ils délivrent le meilleur d’eux-mêmes, c’est quelque chose qui me met mal à l’aise.


J’aime écrire pour des acteurs. Quand j’écrivais le scénario de La Damnée, je regardais des visages et quand je suis tombée sur celui de Lina et sur ses performances, je n’ai pas hésité une seule seconde. Sans elle, le film n'aurait pas été le même donc c’était essentiel qu'elle joue dans La Damnée et je pense même que ce long-métrage n'existerait sans doute pas sans Lina. Elle a été d’une force et d’une vaillance incroyables pour faire ce film, elle le porte sur ses épaules et je lui en serai éternellement reconnaissant.


Lina El Arabi dans le film La Damnée
Lina El Arabi dans La Damnée © Star Invest Films France

Lina et moi avons beaucoup de points communs. Son père est marocain donc elle connait le folklore de ce pays et, quand elle a lu le scénario, elle a tout de suite été bouleversée. En plus, tout comme Yara, son personnage, Lina a un lien très fort avec sa grand-mère et elle a également un tatouage d’un œil marocain et son personnage a la main de Fatma tatouée sur la paume de la main.


Il y avait des signes et ça a été pareil pour Ouidad Elma, qui joue la sorcière, qui est une actrice extraordinaire. Quand je l’ai rencontrée, elle m’a fait comprendre la spiritualité du folklore des sorcières. Elle en comprenait ses différents aspects et quand elle m’a montré ses premières impressions sur la sorcière c’était incroyable. J'ai eu un coup de cœur instantané.


J’ai eu beaucoup de chance car Lina et Ouidad sont des actrices très talentueuses. Je me souviens que pour la scène où elles sont ensemble à la fin, toutes les personnes présentes sur le plateau étaient très émues parce qu’on assistait à un vrai moment d’émotion.


Justement, cette scène touchante l’est encore plus grâce au thème musical qui l’accompagne. Comment avez-vous travaillé sur la bande originale ?


J’ai pu rencontrer le compositeur Benjamin Grossmann grâce à la production. C’était dans une période difficile car j’étais en train de monter le film et, sans musique, il y avait un rapport au rythme qui était beaucoup plus compliqué. Quand on a commencé à parler avec Benjamin, j’ai su de par ses racines et son histoire qu’il comprenait totalement les différents versants du film, que ce soit le côté horrifique, le versant local, culturel marocain et français ainsi que la recherche d’émotions.


Pour la fin, j’avais besoin d’une musique bouleversante et d’espoir. Il me fallait une musique qui accompagne le parcours du personnage, des thèmes à la John Williams, très émouvants, parce que c’est avec ça que j’ai grandi. C’est vrai que la musique est très présente dans le film, il y a peu de scènes sans et c’était très important pour moi d’avoir une bande originale qui jalonne tout le film car c’est un moteur de construction du récit et du rythme qui est essentiel.


Le travail avec Benjamin a été très plaisant et passionnant et je le remercie encore une fois profondément de m’avoir accompagné sur ce film.


Pour finir, quels sont vos projets pour la suite ?


J’ai toujours eu ce besoin de tourner des histoires, ça me passionne et je cherche à les tourner, que j’ai du budget ou non pour le faire. J’ai toujours été passionné par les réalisateurs comme Sam Raimi, Peter Jackson et Tobe Hopper qui ont réalisé leur premier ou deuxième film dans une urgence, avec peu de moyens, ce qui donne des choses uniques.


Quelques mois après avoir tourné La Damnée, j’ai retrouvé mes meilleurs amis en France après avoir passé un long moment au Maroc pendant le covid. J’avais envie de faire un film d'horreur drôle sur les réseaux sociaux, sur la satire de ce monde moderne en convoquant des références comme Scream, Massacre à la tronçonneuse ou It Follows.


Il y a un an, j’ai donc tourné un film dans une maison à la campagne pendant l’été qui s’appelle Don’t Watch. C’est un slasher sur les réseaux sociaux, avec des influenceurs qui se rendent dans une maison pour faire du contenu et qui, un jour, se retrouvent nez-à-nez avec un stalker qui vient les voir et qui refuse de les laisser tranquilles. Il va filmer en permanence les sévices qu’il leur fait subir et les poster en ligne sauf que les gens qui regardent pensent que c’est une blague et continuent d’alimenter le contenu. C’est une spirale de massacre drôle, assez visuelle jouant sur des thèmes de notre époque.


J’ai fini le film il y a peu de temps et ça a été une sphère de respiration, ce dont j’avais besoin après La Damnée qui parle d’un monde plus confiné. C’est un film pour lequel j’ai beaucoup d’amour et que j’espère pouvoir présenter bientôt.


Propos recueillis à l'occasion du 31ème Festival International du Film Fantastique de Gérardmer. Un grand merci à Michel Burstein de Bossa Nova d'avoir permis cet entretien.


La critique de La Damnée est disponible ici

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