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Rencontre avec Julien Maury et Alexandre Bustillo, réalisateurs du film Le Mangeur d'âmes

Dernière mise à jour : 5 juin

Pour leur septième long-métrage, Julien Maury et Alexandre Bustillo ont choisi les Vosges pour tourner Le Mangeur d'âmes, adaptation du roman éponyme d'Alexis Laipsker. Le film a été projeté hors compétition au Festival International du Film Fantastique de Gérardmer en janvier dernier, l'occasion pour le duo de réalisateurs de se livrer sur leur manière de travailler, partageant quelques anecdotes sur leur dernier film et leur relation avec le cinéma de genre.


Julien Maury et Alexandre Bustillo au 31ème Festival International du Film Fantastique de Gérardmer
Julien Maury et Alexandre Bustillo au 31ème Festival International du Film Fantastique de Gérardmer

Après quelques tournages en anglais, vous voilà de retour en France et au tournage en français. Est-ce que fondamentalement ça change quelque chose ?


Alexandre Bustillo : Naturellement oui, parce que c’est notre langue natale donc on est forcément plus à l’aise en français. Après, les deux films qu’on a fait en anglais, c’était deux configurations différentes. Leatherface, c’est un film qu’on a fait 100% en anglais, en communiquant en anglais avec nos équipes et avec nos comédiens alors que The Deep House est un film français mais avec des dialogues en anglais. Camille était bilingue donc c’était assez facile et avec James [Jagger], qui est anglais, c’était plus du franglais mais c’était plutôt efficace. Donc dans l’absolu, évidemment que c’est plus facile pour nous de diriger en français, d'autant plus que le piège en anglais, c'est que, quand les acteurs jouent, on a toujours l’impression que ça sonne bien parce que ce n'est pas notre langue maternelle. Pour certains acteurs, ça se remarque tout de suite mais chez d'autres, c'est plus subtil et c'est seulement après qu'on se rend compte que ce n'était pas terrible alors qu’en français, on sait immédiatement si c'est bon ou pas. Mais ça ne nous dérange pas de basculer en anglais. On a d’autres projets qui arrivent dont certains en anglais.


Concernant le scénario, vous avez mis en scène une histoire que vous n'avez pas écrite et adaptée du roman éponyme d'Alexis Laipsker. Est-ce que vous avez d'autres projets d'adaptations ou est-ce que vous souhaitez revenir à des scénarios originaux que vous avez écrits ?


Julien Maury : On n’a pas de règles, on n’a rien de prédéterminé dans notre carrière. Bien sûr, on aime écrire, on a des histoires à raconter et donc on va en priorité essayer de raconter nos histoires. Maintenant, il y a des romans qui nous ont plu, qui nous ont touchés, où on s’est dit que ça pouvait effectivement se prêter à une adaptation. On n’a jamais franchi le cap de sécuriser des droits, que ce soit en notre nom ou en demandant à un producteur de le faire, on n'a jamais eu un vrai coup de foudre au point de se dire « ça, c’est pour nous, il faut absolument qu’on achète et tout » mais on ne s’interdit rien.


AB : Il y a un livre qu’on adore qu’on aimerait adapter mais on n’a pas acheté les droits.


JM : Oui, c’est un peu gros. Donc on est ouverts à tout ce qui peut se présenter et on est ravis quand on nous appelle en nous proposant quelque chose parce que c’est aussi reposant. On n’a pas à se pencher vraiment sur la partie rédaction du scénario et c’est excitant de se fondre dans l’univers de quelqu’un d’autre, de le ramener aussi dans le nôtre et de trouver des passerelles communes.


Parlons un peu de vos personnages et de ce duo de flic antagonistes qui au départ ne peuvent pas se sentir et qui, finalement, se trouvent des affinités, rappelant un peu le genre du buddy movie, est-ce que c’est un aspect du scénario qui vous a séduit ?


AB : C’est vrai que c’est un cliché assez éculé le duo de flics que tout oppose mais que tout réuni à la fin. C’est un sous-genre en soi qu’on aime avec Julien, où il y a des chefs-d’œuvre comme L’Arme Fatale, mais c'est une comédie alors que Le Mangeur d'âmes, c'est un film très noir et on aimait bien aussi ce fait de projeter un cliché du film de flic dans un univers très sombre. Notre référence principale sur ce film, c’était Les Rivières Pourpres, où il y a aussi un duo de flics qui ne s’entendent pas du tout au début et qui vont faire équipe. On trouvait pertinent la façon dont Kassovitz, déjà à l’époque, a dynamité ce cliché, en apportant un vrai vent de fraîcheur dessus. C’était la direction qu’on souhaitait prendre et être véritablement dans l’esprit des Rivières Pourpres.


Virginie Ledoyen et Paul Hamy dans Le Mangeur d'âmes - © STAR INVEST FILMS FRANCE
Virginie Ledoyen et Paul Hamy dans Le Mangeur d'âmes - © STAR INVEST FILMS FRANCE

Il y a un autre personnage essentiel, le fameux Mangeur d’âmes. Quelles ont été vos inspirations pour ce personnage ? Êtes-vous partis de la description du roman ?


JM : En fait, dans le roman, c’est une figure qui a une existence physique mais qui est matérialisée différemment, avec un costume militaire et nous, on lui a donné corps plus comme une créature parce que ça rejoint des univers qui nous parlent nous, qui nous plaisent. Ça nous intéressait de ramener encore plus l’accent sur le fantastique et de jouer avec la frontière entre l’enquête policière très réaliste et la dimension de légende, de croyance. Le design est né non pas d’une influence directe mais plutôt de ce qu'on aime et de ce qu’on pense être cohérent pour l’histoire, c'est-à-dire qu'on a fait un mélange de visions fantastiques de cette créature qu’on a voulue à la fois très organique car elle est perçue à travers les yeux d’un enfant, mais qu'il y ait aussi un aspect déguisement du Mangeur d’âmes avec des masques fait-maison avec des matériaux trouvés. C'est quelque chose qu’on a développé dans plusieurs de nos films parce qu’on trouve justement ça effrayant : des masques fait main, avec de la toile de jute, un tissu simplement enroulé et deux trous pour les yeux. C’est quelque chose qui nous parle en tant que spectateurs amateurs de fantastique et on a mêlé ça à quelque chose d’un peu plus lié à la nature, avec des cornes qui rappellent des bois de cerf, des ronces et des branches d’arbre. On a bien évidemment travaillé main dans la main pour la partie masque traditionnel avec l’équipe de décoration qui nous a fait des propositions de designs réalistes qu’on puisse porter et, pour la partie créature fantasmée, on a bossé avec l’atelier d’effets spéciaux avec lequel on travaille, avec Olivier Alfonso, qui nous a lui aussi fait des propositions de créatures qu’il a lui-même imaginées et sculptées.


Et en termes de mise en scène, quelle était la scène la plus périlleuse à concevoir ? La plus compliquée afin de trouver le ton juste ? Je pense à une scène en particulier mais je voudrais avoir votre avis.


AB : Je crois savoir quelle est la scène en question. Evidemment, on s’attaque à un sujet abominable et donc on s’est posés la question de savoir ce qu’on montrait ou pas par rapport aux actes commis par les antagonistes du film. Et c’était une scène qui n'était pas dur à conceptualiser mais il fallait prendre une décision assez radicale, c’est-à-dire est-ce qu’on allait tomber dans le graveleux et tout montrer en filmant au maximum de ce qu’on aurait pu faire ou alors rester dans le côté suggéré en montrant quelques bribes d’images et en jouant sur le son ? C’est l’option qu’on a choisi pour ne pas tomber dans le côté voyeur déplacé. En termes de confection pure, les scènes les plus difficiles sont probablement celles qu’on a tournées à l’Altenberg, au sanatorium abandonné de nuit, parce qu’on a vraiment tourné de nuit dans ce décor réel. C’était un vrai défi physique et technique, dans des conditions inconfortables car c'est un lieu où il n’y a pas d’électricité ni d’eau et où on a ramené 100 personnes. Logistiquement, c’était très dur à mettre en place et, une fois sur place, c’était assez compliqué de rentrer toutes les prises à temps parce qu’on était dépendants de la lumière. Dès que le jour se levait, c’était fini, on n’était plus raccord et il fallait arrêter de tourner. C’était une course contre la montre effrénée dans un lieu qui justement ne se prêtait pas ça puisque c’est un lieu très dangereux, piégé de trou. J'avais vu juste pour la scène ?


Non, j'en avais une autre en tête....


JM : Je crois savoir c'est laquelle...


Je pensais plutôt à une scène de couple, une "scène de ménage"...


AB : Ah oui, cette scène là ! On l’a rajouté par rapport au roman.


C'est une scène qui pourrait facilement tomber dans le ridicule ou dans le dramatique mais, ici, c’est sur le fil et le ton est étonnamment juste du début à la fin. Comment avez-vous abordé la préparation de cette scène ?


JM : Comme l'a dit Alexandre, c’est un ajout qu’on a conceptualisé parce qu’on souhaitait maintenir une tension dans le récit et une frustration chez le spectateur. Le film s’ouvre sur une découverte de deux corps et on a seulement des suppositions, on ne comprend pas vraiment ce qu’il s’est passé et c’est donc très mystérieux. Rien ne va, ils se sont entre-dévorés, ils ne se sont pas protégés et on joue alors sur un mystère. Avec Alex, on s’est rapidement dit que ce serait vraiment intéressant de montrer ce qu'il s'est passé mais seulement en fin de film, pour donner notre version des faits au spectateur. C'est une scène qui était assez délicate à faire parce qu'il y a beaucoup de cascades dans un univers du quotidien, une salle à manger très banale, et donc on voulait que les comédiens utilisent tout ce qu’ils avaient autour d’eux, des couverts, des bols, etc. Tout a été répété bien en amont avec Manu Lanzi, le chorégraphe des cascades, qui joue d’ailleurs le rôle du motard dans le film, et on a travaillé avec ce duo qui sont des cascadeurs. Pour nous, c’était un soulagement parce que faire faire ça à des comédiens, c’est toujours compliqué parce que ça se joue au millimètre, il ne faut pas se blesser, il faut avoir le bon mouvement quand on s’attrape ou quand on se projette. Travailler avec ces cascadeurs, c’était hyper agréable parce qu'ils savent faire tout ça et on pouvait donc aller chercher des choses et s’amuser beaucoup plus. En ce qui concerne le ton de la scène, effectivement on s’est beaucoup questionné dessus parce que c’est une scène abominable de violence conjugale extrême, mais on est sauvés par le côté décalé apporté par le côté drogué qui fait qu'ils s’amusent et prennent du plaisir à faire ça. C'est donc une scène qui, finalement, apporte un côté jouissif parce qu’on ne se sent pas coupables de regarder une scène horrible d’un homme qui bat sa femme, ils sont tous les deux morts de rire, ils s’amusent à s’entretuer donc il y a quelque chose d’assez enfantin et ludique qui transparaît dans cette scène. Et ce côté jubilatoire est aussi renforcé par le fait qu’on a eu envie de la voir pendant tout le film.


Paul Hamy dans Le Mangeur d'âmes
Paul Hamy dans Le Mangeur d'âmes - © STAR INVEST FILMS FRANCE

Justement, par rapport à la question de la violence, est-ce qu’il y avait un besoin d’avoir un film plus « grand public » avec des scènes plus adoucies par l’humour, comparé à vos précédents films ? Je pense notamment à votre premier long métrage À l'intérieur.


AB : C’est sûr qu’on n’est pas dans le même registre de violence. Comme l’a dit Julien, on ne voulait pas d’une scène de violence crue, de violence faite sur femme ou homme, ce n’est pas du tout ce qu’on voulait raconter. Là, on est presque dans le cartoon, ils sont morts de rire, ils s’éclatent la tête et donc on n’est pas du tout dans le même état d’esprit que lorsqu’on faisait À l’intérieur où, pour le coup, on voulait une violence clinique, presque documentaire, sans concession, très froide. C'était nos débuts donc on voulait choquer, on voulait que les gens soient dégoûtés, alors qu'avec Le Mangeur d'âmes, ce n’était pas le but. L'idée, c'était plutôt d'avoir ce petit plus pour les spectateurs qui ont vu le résultat de la bagarre au début et qui vont enfin savoir ce qu'il s'est passé dans les 10 dernières minutes du film. C'est aussi une façon de déconstruire la manière de raconter le récit puisque généralement on voit une bagarre puis le résultat, rarement l’inverse, donc c’était ce côté fun et sa place dans le récit ainsi que dans la façon de la faire qui nous a motivés.


Nous évoquions un peu plus tôt les personnages, parlons à présent casting. La présence de Sandrine Bonnaire et de Virginie Ledoyen au générique, est-ce un choix d’actrices que vous avez fait sciemment dès le départ ou est-ce que c’était une nécessité d’avoir des têtes d’affiche ?


JM : C'était une vraie volonté de notre part. On avait envie de travailler avec ces comédiennes, et avec tous les autres comédiens du film d'ailleurs, et il se trouve que ce sont des personnes qui ont une aura, qui sont connus donc ça aide. Virginie est une comédienne qu’on a toujours beaucoup aimé, tout comme Sandrine Bonnaire. On était très contents parce qu’on est des fans de La Cérémonie de Claude Chabrol et elles n’avaient pas retourné ensemble depuis donc il y avait un petit plaisir de se dire qu'on allait les réunir à nouveau dans un film. Sandrine Bonnaire n'avait jamais fait d’incursion dans le cinéma de genre à proprement parler, dans le cinéma fantastique et, comme pour tous nos films, on a simplement suivi notre instinct, nos envies et on a eu la chance qu’elles nous suivent toutes les deux. Je pense aussi que c’est parce que ce genre de projet est assez rare et atypique dans le cinéma français donc c’est aussi notre force.


En parlant de films de genre, plusieurs films ont rencontré un certain succès dans les salles l'année dernière comme Le Règne Animal, Mars Express ou Vermines. C’est encourageant non ?


AB : Le Règne Animal, ce n'est pas la même catégorie, on est sur un budget bien supérieur à Mars Express ou à Vermines donc c'est différent mais pour les films de genre avec un "petit" budget, oui c'est une bonne nouvelle car les investisseurs vont être rassurés en se disant que ça attire du public et que ça peut marcher. Pour Vermines, on est très contents que le film ait fonctionné parce que c’est encourageant pour son jeune réalisateur [Sébastien Vaniček] de sortir un premier film qui marche et c'est un film qu'on aime vraiment beaucoup. C’est une super bonne nouvelle, on ne peut que se réjouir du succès d'un long-métrage en salles d’un confrère. Il faut que ça continue. On est pour qu’il y ait de plus en plus de films d’horreur français, ou de films de genre en tout cas, parce que nous, c’est ce qu’on a toujours prêché avec Julien, on a tout ce qu’il faut en France pour faire du film de genre donc autant en profiter.


silhouettes du mangeur d'âmes et d'un enfant dans un couloir baigné d'une lumière rouge dans le film Le Mangeur d'âmes
© STAR INVEST FILMS FRANCE


Interview réalisée en partenariat avec Julien Fleury de Khimaira à l'occasion du 31ème Festival International du Film Fantastique de Gérardmer. Un grand merci à Sophie Saleyron pour l’organisation de cet entretien.


Pour découvrir d'autres secrets de tournage du Mangeur d'âmes, (re)découvrez la vidéo de la table ronde autour du film.

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